Je me mis enfin à réfléchir, c’est à dire écouter plus fort. Samuel Beckett
Contrairement aux idées reçues, aux apparences, écouter c’est agir. Agir sur l’autre. User déjà de son influence.
Ecouter, c’est aller en repérage, c’est déjouer le dialogue de sourds, c’est préparer le terrain, chercher la connivence.
Ecouter c’est d’abord faire exister l’autre, lui donner de l’espace, lui consacrer du temps, reconnaitre sa légitimité, et d’une certaine manière lui accordant une oreille attentive, un regard entendu, lui parler de lui.
Oui écouter, c’est parler à l’autre, c’est parler de l’autre.
Ecouter l’autre, c’est le mettre en confiance. c’est purger ses colères, ses humeurs ses filtres, ses parasites. Lui vider son sac. C’est le rendre disponible à l’échange, au dialogue, à la conversation.
Car écouter, c’est chercher avant tout le point de connexion, trouver la passerelle, le discours entendu, la clef, qui fera qu’entre mon interlocuteur et moi, on pourra, si ce n’est se comprendre du moins commencer à s’apprendre, à s’entendre.
Ebaucher une dialectique.
Ecouter c’est non seulement entendre ce qui est dit (le dénoté), ou ce qui affleure (le connoté) ou ce qui n’est pas dit… mais comment cela est dit ou éludé ou tu.
C’est écouter les mots certes, la rhétorique, la sémantique, la construction du discours (le verbal), mais aussi la voix, la peau de la voix, le chant de la voix (le para-verbal)…
« Il avait une voix à vous dégouter de vos oreilles « Frédéric Dard…
mais encore écouter le corps, la danse du corps, les tensions du corps (le non verbal) et donc dans une forme paradoxale : ECOUTER VOIR.
Ecouter c’est donc partir de l’autre, du point de vue de l’autre. Aller à sa rencontre, aller le chercher là où il est. C’est l’ouvrir et le lire comme un livre, et plutôt que de partir de préjugés, de présupposés ou d’a priori, plutôt que d’emblée objecter, s’opposer, ou faire contre, tout simplement faire avec.
Ecouter l’autre, c’est mettre du ET… à la place du MAIS. C’est substituer au point virgule et au point/barre, des points de suspension.
Ecouter ce n’est pas adhérer au propos c’est prendre en compte. Découvrir et comprendre le « mode d’emploi ».
Faire parler l’autre, c’est aussi stratégiquement, mettre l’interlocuteur à découvert, capter sa matière première, saisir ses valeurs, ses références, mesurer la température, ramasser des données.
Car faire parler l’autre, c’est aussi faire avancer sa thèse. C’est, par cette acuité de la perception, de la réception, l’art de bien ajuster le tir et le propos. L’habilité à justement agir dans la finesse, dans l’intelligible et l’adéquat pour l’autre.
Tant ce qui n’est pas entendu ou retenu finalement n’est pas dit.
La véritable écoute est cette écoute active, cette forme de maïeutique (de la mythologie grecque MaÏa, déesse des sages-femmes ) inventée par Socrate. C’est cet art d’accoucher les esprits, par un jeu de questions, de reformulations, de relances et de silences. L’art de mener, d’emmener et d’amener l’autre, sans rien imposer, sans rien contraindre, jusqu’à lui révéler ses propres vérités.
L’écoute active, c’est partir de l’autre pour mieux le ramener à soi.
Du territoire de l’autre
Il a raison
Il a ses raisons
à mon propre territoire
j’ai mes raisons
j’ai raison
Le mener, l’amener, l’emmener oui et le ramener à soi.
Ecouter, c’est s’autoriser des détours, accepter de « perdre du temps » pour en gagner, prendre des chemins de traverse, tirer des bords et des tangentes. C’est prendre le temps d’aller vite.
En ce sens, l’écoute emprunte à l’aïkido, dans la souplesse et l’agilité, dans l’intelligence de la situation. Elle se nourrit de l’autre, puise à son énergie, joue de son inertie. Elle met en lumières et en ombres, débusque la faille, soulève les contradictions, dans l’art de l’esquive et du rebonds.
Oui affirmons le avec Montaigne « La parole est à moitié à celui qui écoute »
Oui confirmons le avec Molière » Quand on sait entendre on parle toujours bien »
Car à tout miser sur la force de conviction et l’argument, à vouloir vaincre et convaincre trop vite peut susciter bien des risques.
Car parler beaucoup, longtemps, car parler trop, parler parler jusqu’à trouver quelque chose à dire, peut s’avérer bien souvent contre-productif. Car parler c’est s’entendre dire, ce n’est pas s’écouter parler. Car celui qui expose s’expose et finit bien souvent par se marcher sur la langue : le mot de trop.
Car « celui qui ne sait pas se taire ne sait pas non plus parler. » Sénèque
Car le péremptoire, l’impérieux et l’irréfragable catégorique peut susciter bien des réflexes de « réactance ». Ce mécanisme de défense qui nous met en instinctive résistance quand on se sent menacé, abusé, dans l’incapacité même à réfuter, à récuser et qui verrouille tout, jusqu’au rejet.
Oui, si l’éloquence est l’art de bien parler, écouter est l’art de bien s’entendre.
Ecoute, sinon ta langue te rendra sourd ! (proverbe cherokee ).
Thierry Grosjean