par Fanny Laudicina
Votre enfant adorée, 15 mois, en a assez de faire la réplique de la Grotte de Lascaux en dessinant des virgules sur les murs de sa chambre à l’aide d’un feutre brun à pointe large. Aujourd’hui elle a décidé de sonder les petits trous. Et puisque les prises électriques en ont deux, des trous, et que vous avez engendré une fille ambitieuse, son projet tourne à l’obsession scientifique. Après avoir tenté de la distraire (« Oh, le beau perroquet sur le toit en face ! », crédible uniquement si vous habitez la forêt amazonienne), lui avoir gentiment retiré la main, roulé dans vos globes oculaires des yeux dignes du cinéma expressionniste allemand, vous faites appel à sa raison. D’une voix flûtée, douce et souriante, vous expliquez à votre enfant que si elle continue son exploration du petit trou du mur, elle va finir grillée comme la merguez du barbecue chez Mamidou le weekend dernier.
Là, trois possibilités :
– Votre fille est un enfant à très haut potentiel et d’un air triomphant, quoique sans aucun à propos, elle bafouille ses premiers mots : « Mégez, pikant ».
– Votre fille est géniale, et son sens politique déjà aiguisé la pousse à commettre un geste d’une grande portée symbolique : elle continue à ficher son feutre dans la fiche.
– Votre fille est brillante, et avec un flair digne d’un mentalist de Quantico, elle sait reconnaître dans la contradiction que vous créez entre le son de votre voix (ravissant) et le message que vous énoncez (anxiogène) tout ce qui fait le sel d’une vraie personnalité sadique. Si tu ne me crois pas, lecteur, écoute-toi dire : « tu vas mourir électrocutée » avec le sourire d’une hôtesse de village vacances.
Mais en réalité, votre fille est un bébé. Votre voix flûtée, douce et souriante, l’empêche totalement de comprendre le sens réel de votre message. Votre voix dit une chose, vos mots en disent une autre. En bon petit animal supérieur, cette enfant se fie à ce qu’elle entend, à ce qu’elle voit, plutôt qu’à l’intelligibilité de vos propos.
Quoique votre N+1, votre client, la RH ou la directrice de la crèche, ne soient pas des bébés, ils ont besoin, eux aussi, de congruence. On ne peut pas le dire en meilleur français, étant donné que le mot se trouve déjà chez Molière. De nos jours, dans le langage courant, c’est sous sa forme inverse qu’on l’emploie. Si une chose incongrue désigne un élément décalé, inconvenant, impropre, surprenant, la congruence est l’accord du fond et de la forme. L’adéquation, ici, entre ce qui est dit et la musique qui l’exprime à l’unisson.
En communication, il convient de mettre le bon ton, sous peine de voir son message mal interprété ou décrédibilisé. Sur le terrain professionnel, où il vaut mieux éviter les malentendus, le plus efficace reste le premier degré. Ayez l’air et la chanson enthousiastes lorsque vous confiez en entretien de fin d’année que vous adoreriez vous coltiner au nouveau projet avec les Etats-Unis ; adoptez une voix sans réplique quand vous remontez le baggy à votre stagiaire qui se prend pour le roi du pétrole ; prenez une voix désolée (gardez la guillerette pour le jour de son pot de retraite) quand Catherine vous annonce qu’elle va aller déposer son incompétence quelque temps dans une maison de repos, laissant ainsi un grand vide dans le bureau que vous partagez.
En somme, tâchez d’endosser pleinement vos propos, que la timidité peut rendre flous, l’ironie rendre ambigus, le jugement que vous portez parfois sur vous-même rendre incertains. Votre interlocuteur ne comprend vraiment que ce qu’il voit – ce qui sonne à ses oreilles. Avez-vous l’air de ce que vous dites ? Voilà la question inconsciente qu’il se pose.
Votre voix véhicule des émotions, en-deçà des mots elle véhicule aussi du sens. L’intonation correspond à l’intention dont vous êtes porteur. Dans les situations professionnelles à enjeu fort, commencez donc par préciser votre intention. Et demandez-vous quelles « notes » correspondent le mieux au message que vous voulez faire passer.
Pour vous entraîner, obligez votre fille de 15 mois, qui n’y avait pas encore songé, à mettre les doigts dans la prise, et sermonnez-la d’une voix forte et grave, en martelant certains mots : bobo, dangereux, interdit, très fâché, ouh la la… Si elle retourne peindre les murs de sa chambre, c’est que vous avez été congruent.
LE KIT POUR ACCORDER VOTRE VOIX A VOS CONVICTIONS
Prononcez la phrase suivante : « Je n’ai pas dit que tu avais perdu le dossier »,
1- sur le ton de la confidence complice.
2- sur le ton de celui qui se défend d’avoir fait quelque chose.
Et constatez combien la façon de dire change le sens des mots.
Vous pouvez vous entraîner dans des lectures à voix haute du support de votre choix (journal, roman, poésie…), en vous donnant des intentions de jeu : joyeux, attristé, étonné, empathique, expert, sévère etc. Cela vous permettra d’affiner votre gamme, de préciser vos nuances et de faire entendre vos mots pour ce qu’ils disent vraiment, sans place béante pour l’interprétation que l’autre pourrait en faire.
Pour aller plus loin, entraînez-vous avec nos coachs pour faire de votre voix un levier d’influence !