L’accroche par Thierry Grosjean

KS formation communication confrontation

L’homme est comme le lapin il s’attrape par les oreilles (Mirabeau).

Ceci est une accroche, ou plus savamment, une captatio benevolentiae, technique oratoire cherchant au début de l’exorde d’un discours à capter la bienveillance et les bonnes grâces de l’auditoire et ainsi de s’offrir royalement une minute d’attention gratuite.

Je ne sais si « on n’a qu’une seule fois l’occasion de faire une première bonne impression », contre toute logique, j’espère bien que non, toujours est-il que l’accroche donne le ton, la température. Elle suscite l’intérêt, l’envie d’ouvrir ses oreilles et annonce d’emblée ce que l’on gagne à vous écouter :

du temps,
du savoir,
du plaisir,
de l’intérêt…

selon la disponibilité que l’auditoire veut bien vous concéder avant de déconnecter, avant l’extinction de ses neurones.

Avant l’ennui.

Car l’accroche est ce moment clé, au maximum de sa charge de stress, qui établit le contact positif, crée la jonction cognitive, au-delà des formules polies, des flatteries ordinaires, des lieux communs ou des banalités d’usage,

du genre :

je suis venu (on le voit) vous parler (on le constate) d’un sujet (lequel ?) qui devrait vous intéresser… (prudent mais démotivant conditionnel).

Autant de mots inutiles dont on peut faire généreusement l’économie, sachant combien l’attention est paresseuse et la concentration volatile.

Ainsi donc interpellez, apostrophez, citez, attrapez l’auditoire par l’oreille, prenez-le par le col et dites-lui d’entrée de jeu : « intéresse-toi à moi autant que tu m’intéresses ».

Bref, au-delà du monologue convenu, établissez le dialogue entre ce que vous dites et ce qu’ils en pensent. Imposez la connivence.

Qu’elle soit trait d’humour, (le joke, inévitable figure stylistique des pays anglo-saxons), anecdote, mise en abîme, chiffre ou statistique, qu’elle questionne ou interroge, surprenne ou rassure, déstabilise ou balise, provoque ou apaise, l’accroche puise dans le référentiel commun, envoie du sourire entendu ou sous-entendu, fait dans l’elliptique, le suspens, le code à décoder. Elle dramatise ou dédramatise, plonge au coeur du sujet ou l’évite par tactique. Dans tous les cas, elle donne le pouvoir, met en confiance, crée l’interaction, produit son effet. Elle ose et dose à la fois.

Elle est au discours ce que la « putaclic » est aux réseaux sociaux, ce stimuli accrocheur (et souvent racoleur) qui donne, bien souvent malgré soi, envie d’en savoir plus.

Elle peut être gestuelle, accessoirisée, auditive ou visuelle, elle sera toujours plus percutante qu’un souverain poncif du genre :

merci d’être venu si nombreux (surtout s’ils sont sept),

ou qu’un idiome du village du style :

je vais vous faire un petit exposé…

ce qui en termes d’induction est toujours plus péjoratif qu’un exposé court, bref, concis.

Foin d’abstractions ou de généralités, qu’elle soit implicite ou explicite, allusive ou directe, qu’elle s’empare de logique ou se drape d’analogique, l’accroche comme l’entonnoir a deux entrées possibles :

du général au particulier, de la théorie à la pratique : le déductif,
du particulier au général, de l’exemple à la thèse : l’inductif.

Elle répond déjà à la question, la pose ou l’expose.
Elle l’élude ou la complexifie, fait durer le plaisir.

Effet oratoire, figure de style, l’accroche puise dans la culture, s’imprègne du climat ambiant, s’inspire d’actualité, voire de météo. Elle est aspérité, étonne et détonne. Elle amorce l’introduction tout en désamorçant la tension. Elle abolit la distance, brise la glace, nous rapproche.

Elle rend d’emblée captif, dans la promesse de captiver.

Car l’accroche comme son nom l’indique, c’est précisément fait pour que ça ne décroche pas et pour rendre dépendant, addict ; en un mot, accro.

 

Thierry Grosjean