Tremblements, sudations, bouche sèche, tachycardie, fébrilité, respiration accélérée…
La grippe ?
Chevrotements, tensions, gestes parasites, inhibitions, rougeurs, boule au ventre, gorge serrée…
L’amour ?
Non, le trac !
Mais qu’est-ce que le trac ?
Thierry Grosjean vous donne des clés pour apprivoiser le trac.
Le trac est une émotion, comme la joie, la peur, la colère. Or l’émotion est un phénomène complexe, intellectuel, corporel, social, affectif, qui mobilise plusieurs fonctions dans notre organisme. Il est une réponse naturelle, instinctive du corps à une situation de danger ; le cerveau mettant à disposition dans la meilleure des intentions, par un réflexe salvateur, un surplus d’énergie, faisant affluer le sang vers le cœur, les muscles, pour mieux affronter l’inconnu, une situation extérieure ou sa représentation mentale (étymologiquement : la traque, le traquenard).
Il est un signal d’alarme, une alerte rouge, une libération massive d’adrénaline dans un mode combat/fuite. Comme l’animal en danger de mort, l’orateur, l’acteur, l’étudiant, agresse ou fuit.
Mais en quoi prendre la parole devant un public, aller sur scène, ou passer un entretien nous mettrait il en danger de mort ?
De mort physique sans doute pas. Il est assez rare de nos jours d’exécuter un orateur en pleine présentation Powerpoint ! Tous les orateurs ne sont pas Socrate. Mais de mort sociale, assurément. A l’heure d’être jugé, noté, apprécié, évalué par nos pairs notre cerveau reptilien nous pousse à la fuite, notre cerveau limbique nous renvoie à nos émotions, tandis que notre cortex nous impose de rester, d’être efficace, brillant, rationnel, performant.
Dans cette double, triple injonction, l’orateur, exécutant plus ou moins laborieusement ce qu’il a à faire tout en s’en débarrassant – débit accéléré, mauvaise diction, voix verrouillée, réfugié sur son écran, le regard perdu, la posture fermée, se dandinant frénétiquement – est donc à la fois présent et absent. Il s’oblige et se fuit.
Enfermé dans sa bulle émotionnelle, « patraque », il nourrit le cercle vicieux et infernal qui fait que plus il est concentré sur ses symptômes et plus il augmente son stress jusqu’au trou noir : patatras ! Le cerveau soudainement asphyxié, les neurones non oxygénés : le vide. Et le bide.
Pourtant le trac n’a rien d’inéluctable, il n’est pas un phénomène figé ni une fatalité.
S’il existe c’est donc qu’il est utile. S’il est une alarme c’est donc qu’il prévient. S’il est une énergie c’est donc qu’il s’utilise.
Utile et prévenant oui, comme la sensibilité ou la douleur qui évite de laisser la main posée sur la plaque chauffante. Un ami comédien et malheureusement cardiaque me confiait qu’avec des bétabloquants, il ne ressentait plus aucune émotion avant d’entrer en scène. C’était à la fois un soulagement mais aussi un risque. Celui du manque total de concentration ou de perception de l’enjeu.
A une jeune comédienne lui avouant n’avoir aucun trac, Sarah Bernhardt répliquait du tac au tac :
Ce n’est pas grave ça viendra avec le talent !
Car oui, le trac est nécessaire. Il vise à maintenir la constance du milieu intérieur et l’adaptation au milieu extérieur. Il met à notre disposition l’énergie nécessaire pour faire face. Il nous oblige à la concentration.
Non on ne combat pas le trac, on le canalise, on l’apprivoise, on fait avec et pas contre. Le trac s’exprimant d’une façon ou d’une autre, alors :
Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur. (Cocteau)
Oui, organisons.
Si trop de trac paralyse, un trac maîtrisé stimule, excite devient piment.
Comme toute énergie accumulée le trac se dépense. Il se dépense précisément vers la cause déclenchante : l’auditoire.
Il existe au théâtre ce que l’on appelle, la loi de la rampe. La loi de la rampe, c’est la distance entre le public et le plateau qu’il faut combler.
Ainsi l’acteur articule, porte la voix, exacerbe ses gestes, exagère ses déplacements, ses postures, se maquille outrageusement, non par coquetterie, mais simplement pour qu’il y est encore du regard et de l’expression au fond de la salle.
L’acteur s’engage. L’acteur s’affirme. L’acteur incarne. Il vitalise sa présence, investit l’espace, s’implique physiquement, vocalement, intellectuellement.
Si l’on sait que le trac est particulièrement pesant dans l’attente et au début de toute
intervention, que l’art oratoire est un peu diesel, le temps que ça chauffe, l’on sait aussi qu’il disparaît très vite dans l’action. Il s’agit donc de se concentrer d’entrée sur son assertivité, ses ancrages, sa conviction, il s’agit de s’inscrire dans le réel et de commencer fort dans l’accroche. Il s’agit de rassurer très vite ses mécanismes biologiques.
Dépenser le trac c’est aussi respirer. Respirer ventralement. Inspirer, s’inspirer pour mieux expirer, pour mieux s’exprimer. Oxygéner son corps, aérer ses neurones, faire le plein de carburant.
Enfin dompter le trac c’est aussi répéter, s’entraîner, pratiquer, habituer le cerveau à ses situations d’exposés où l’on s’expose.
Le trac est fondamentalement le même chez un champion et chez un débutant. La différence vient que le premier a appris à mieux le maîtriser que le second. (John Mc Enroe)
A la centième prise de parole, même si le trac existe encore et se doit d’exister, on n’est plus un novice. Le cerveau dans cette prise de risque n’est plus un débutant.
Il finit par y trouver du confort et même, du plaisir.
Thierry Grosjean